Les métamorphoses du style
Dans toute œuvre d’art authentique, le sujet n’a que peu d’importance s’il n’est pas investit par la singularité d’un style - par les marques d’une personnalité capable de voir en lui ce qui le transcende et le rend universel. C’est pourquoi, il serait vain de vouloir aborder l’œuvre de Nicolas Bernière par son contenu sans, dans le même temps, chercher à y desceller ce que cet artiste polumetis[1] a cherché à nous dire envers et contre l’apparente diversité de ses choix. Et si la force de cette œuvre se mesurait non pas – comme la tyrannie de l’art contemporain voudrait nous le faire croire – à sa cohérence, mais au nombre de ses métamorphoses ?
Par Frédéric-Charles Baitinger
Tantôt graveur, tantôt dessinateur, tantôt peintre botaniste, les facultés plastiques de Nicolas Bernière ne semblent pas connaître de limites – sinon celles de sa sensibilité. Cherchant sans cesse la juste manière de réinventer son style pour qu’il entre en résonance avec son sujet, ses œuvres ignorent la distinction des genres et la soumission morne à une idée fixe. A chaque toile sa manière. Et à chaque manière son esthétique. Ce qui ne veut pas dire que les œuvres de cet artiste manquent d’unité. Bien au contraire, elles sont, dans leur prolixité même, l’expression d’une quête de sens et d’harmonie que nous serions tentés de qualifier de néo-classique.
Trouvant le plus souvent son inspiration dans les beautés de la nature (fleurs, insectes, rivières, fond marins), Nicolas Bernière n’en est pas pour autant un peintre de paysages au sens où d’ordinaire ce mot s’entend. S’emparant de la nature pour en extraire ce qui en compose le fond mouvant, ce n’est pas seulement le printemps qui nous est montré dans ses toiles semi-abstraites, mais l’essence même de la nature saisit en tant que cycle ; cycle joignant - dans une sorte de chaos efflorescent - la vie et son contraire. Entre les fleurs à peine éclosent et les feuilles jaunes déjà tombées à terre, Nicolas Bernière ne fait pas de différence. Il égalise ces deux mondes, il les mêle et les juxtapose pour mieux nous faire sentir ce qui les unie et les rend in-distinguables.
De la même manière, dans sa série portant sur les insectes, le but ne semble pas de nous en montrer les cocasseries formelles, mais bien plutôt de nous aider à percevoir la proximité qui existe entre la matière de leurs corps noirs et cuirassés et la matière des roches sur lesquelles ils semblent comme figés. Naviguant ainsi de l’aspect extérieur des choses à ce qui en compose l’intériorité, Nicolas Bernière nous invite à plonger dans ses toiles comme si elles pouvaient nous donner accès à l’envers du monde.
Mais c’est peut-être dans sa dernière série de toiles inspirée par l’histoire d’Hamlet que la faculté de cet artiste à nous présenter, en un seul instant figé, ce qui sous-tend la complexité du réel, s’exprime avec la plus grande clarté. Superposant l’ensemble des évènements du drame en une composition simple et nuancée, ces peintures nous entrainent dans un dédale de figures et de signes qui, pris dans leur totalité, ne nous content pas simplement l’histoire d’Hamlet, mais nous introduisent de manière figurale au cœur même de ce qui en constitue son plus profond mystère : « To be or not to be, that is the question ».