ses demeures d’être et de fragile grisaille
Les gris étreignent les noirs, et l’obscurité agit et s’agite. Naissent d’altérables formes d’ombre et de lumière. Les ordinaires deviennent créatures d’étrangeté : des êtres d’allure lointaine, silhouettes d’absence et de ténuité. Ce sont d’humaines présences qui tachent et blessent l’étendue. Elles occupent le quotidien, mais le quotidien n’est plus leur affaire. Malgré leur visuelle proximité, elles ont pris leurs distances d’art et d’âme. Traversées par l’étendue, elles traversent l’opacité en fantômes discrets, allusifs, poignants et transparents, vêtus d’espace.
Le monde est un lieu infini qui ne cesse de s’éloigner, quand au contraire les puissances cachées du regard occupent tous les devants de la scène. L’homme au gris innombrable rêve des poussières de l’espace et du temps. Il en fait de la vie, il en fait sa vie, et encore de la pure présence. Insolites, chargées d’art et de mystères, ses créatures étrangement créées disent en silence l’énigme de l’existence, ses non-dits, ses affres, les mémoires bafouées, et les vides de la vie.
Exigeant face-à-face, où le travail du temps qui travaille les surfaces fait disparaître les fausses séductions, leur joliesse éphémère, et les dures aspérités du présent. Nicolas Bernière laisse venir à lui l’essentiel de la vraie présence, celle de l’intime et du dedans, celle des pudiques effet d’art et de l’implacable survie de l’être. Chez lui, les traces sont plus vives et plus vraies que les chocs frelatés des apparences. La compréhension immédiate du dessin ne fait que réduire le champ de ses possibles, mais l’heureuse et redoutable faculté de détruire les évidences graphiques fait éclater les significations sous-jacentes. Nicolas Bernière efface les excès du visible pour en laisser surgir la trame secrète, celle qui vibre au tréfonds du mental.
La plénitude sert de repoussoir aux lacunaires, quand ils s’abandonnent à l’infini de leurs manques. Il efface en lui les appuis de sa réalité. Il nage lentement aux creux des renaissances invisibles, au fond des marécages archaïques. La transformation disloque le va-de-soi. Ses créations sont les figures éphémères, inattendues et surgissantes, d’un ailleurs toujours présent, et d’un réel toujours en perdition. Il ose s’y perdre. Un visage surgi d’hier incante le présent trop présent, acculé depuis toujours à l’absence des gestes, et noyé dans l’interminable fin des souvenirs. Tous les dehors sont enlevés. Ne reste que le dedans du dedans. Dans cet art insidieux, souverain et souterrain, le monde caché s’éveille au creux des ombres. De la blancheur insondable aux fatigues de la noirceur, infinis les passages en pays de fragile grisaille.
Christian Noorbergen